jeudi 2 avril 2009

COMMENT HAUSSMANN A REBATI PARIS?!


Difficile d'imaginer ce que serait Paris sans Haussmann. Jugé dévastateur par les uns, urbaniste de génie pour les autres, son œuvre prête aujourd'hui encore à polémique.
Il y a des anniversaires qui fâchent. C'est assurément le cas de celui du baron Haussmann. Né le 27 mars 1809, il n'aura pas eu droit pour son bicentenaire au moindre cadeau, pas même à la plus petite commémoration de la part de la Mairie de Paris, alors qu'il est unanimement considéré, pour le meilleur ou pour le pire, comme le père de la capitale dans sa forme actuelle. Il faut dire que Haussmann n'a jamais cessé d'alimenter la polémique. Aujourd'hui encore, les avis sont plus que partagés dès qu'on évoque son œuvre. Pour les urbanistes, son bilan est positif car Haussmann a permis à la vieille cité bâtie sur les rives de la Seine d'entrer dans l'ère moderne. A l'inverse, pour les amoureux des vieilles pierres, le préfet de Napoléon III fut un vandale, qui saccagea sans états d'âme une ville qui n'avait pas subi de grands bouleversements depuis le Moyen Age.

Mais pourquoi cet homme déclenche-t-il aujourd'hui encore tant de passions contradictoires ? Etait-il cet implacable préfet à la botte du pouvoir que ses détracteurs ont décrit ? Ou le démiurge qui a enfanté le Paris moderne ? Une chose est certaine : ce fonctionnaire d'un type nouveau, au carrefour des mondes politique, économique et administratif, sera l'instrument idéal pour un régime, le second Empire, qui veut moderniser l'image de Paris et imposer un style qui se démarque de celui de ses prédécesseurs. Pourtant, comme l'explique Nicolas Chaudun, auteur d'un passionnant essai sur la vie et l'œuvre du préfet de la Seine *, «lorsqu'il arrive au pouvoir, en 1853, la plupart des grands travaux parisiens ont déjà commencé: le boulevard de Strasbourg est achevé. Le quartier des Halles a été remanié par Baltard et les premiers pavillons de fer installés. La rue Rambuteau a été percée...»

C'est que Louis-Philippe avait déjà entrepris de remodeler le cœur de Paris car il était devenu impossible d'y vivre. Depuis le XVIIIe siècle, la capitale vivait dans une pourriture inquiétante. La situation était devenue dramatique avec l'accroissement de la population. En 1817, on dénombrait 713 966 habitants. Ils sont plus de 1 500 000, trente-neuf ans plus tard. En février 1832, la grande épidémie de choléra sonna comme un avertissement. Il fallait faire quelque chose, sinon il n'y aurait bientôt plus de Parisiens au milieu de ces miasmes.

Le premier convaincu de cette dramatique réalité est Louis-Napoléon Bonaparte. En exil depuis l'âge de 6 ans, le jeune prince a eu l'occasion de voyager à travers le monde, de visiter d'autres capitales et de comparer. Notamment avec Londres, alors modèle d'urbanisme et d'hygiène... Il en rêve lorsqu'il rédige, du fond de la prison de Ham, un opuscule exposant ses généreuses idées : L'Extinction du paupérisme. Aussi Napoléon III s'attelle-t-il à la tâche dès son arrivée au pouvoir, en appelant auprès de lui un jeune fonctionnaire, inconnu dans le monde du pouvoir, mais qu'il sait sensible à ses idées, flexible, et, de plus, doté d'une extraordinaire capacité de travail.

Qu'on en juge : en seize ans et six mois de magistrature, Haussmann aura littéralement bouleversé Paris, certains historiens assurant que ses travaux ont modifié à 60 % la capitale ! Concrètement, Haussmann développa dans la cité intra-muros les deux axes du plan romain dont le tracé existait encore : la voie nord-sud (cardo) avec l'axe des rues Saint-Martin et Saint-Jacques, et l'est-ouest (decumanus) avec les rues Saint-Antoine et de Rivoli. Doublant la première voie avec les boulevards de Sébastopol et Saint-Michel ; poursuivant la seconde en perçant la rue de Rivoli jusqu'à la place de la Concorde qui ouvrait sur les Champs-Elysées. L'idée n'était pas nouvelle, Napoléon Ier en avait déjà formulé le projet. Mais Haussmann lui donna sa dimension moderne en joignant l'est et l'ouest de la capitale sur les deux rives. A l'axe « Rivoli-Seine » répondait l'axe « Saint-Germain-Seine ».

Autres chantiers : le percement de voies de dégagement au sud, avec les boulevards Saint-Marcel et de Port-Royal qui venaient se raccorder au boulevard du Montparnasse. Au nord, à partir des boulevards de Louis XIV, il lance de grands axes (boulevards Haussmann et Richard-Lenoir) à la conquête des faubourgs, ce qui entraîne le développement de quartiers nouveaux, dont le plus spectaculaire surgit de la plaine Monceau, mais aussi la percée de l'avenue de l'Opéra qui venait se raccorder aux grandes voies desservant les gares de l'Est et du Nord : les rues de Maubeuge et de Châteaudun. Enfin, l'aménagement de la place de l'Etoile, dont la capacité se voyait doublée avec de nouvelles voies qui, dans un premier temps, ne menaient qu'à des lieux de loisirs (comme le bois de Boulogne), mais allait très vite donner naissance à de nouveaux quartiers résidentiels.

Car Napoléon III prévoyait l'extension de la capitale. Il faut d'ailleurs lui rendre cette justice d'avoir compris le premier que les portes de la ville n'étaient plus les vieux octrois, mais les gares. Aussi, il en multiplia le nombre et les fit bâtir en plein cœur de Paris... Autre décision visionnaire : dans le but d'améliorer l'hygiène par une meilleure qualité de l'air, il souhaita développer les parcs et jardins. Sur ce point, pourtant, Nicolas Chaudun s'inscrit en faux : «Il est temps de renverser une idée reçue sur les espaces verts, qu'on met habituellement au crédit d'Haussmann. Les deux grands espaces qui constituent la ceinture verte de Paris, les bois de Boulogne et de Vincennes, existaient longtemps avant lui. De tous les parcs parisiens, seuls Montsouris et les Buttes-Chaumont sont des créations du préfet. Quant au parc Monceau, il fut amputé des deux tiers de sa surface.» Tout comme le jardin du Luxembourg, qui frôla le pire, puisque le baron prévoyait la transformation de la petite rue Férou en artère traversant le jardin sur toute sa longueur. «La grande nouveauté en matière d'espaces verts, ajoute Nicolas Chaudun, c'est l'implantation de squares, sur le modèle anglais. Ils étaient au nombre de vingt-quatre, et répartis de telle façon qu'aucun d'entre eux ne devait se trouver à plus d'une demi-heure de marche du domicile de chaque Parisien...»

Revers de la médaille, il fallait que le baron Haussmann fût bien naïf, ou qu'il eût une confiance absolue en son maître, pour ignorer qu'il allait devenir impopulaire avec tous ces grands chambardements. La destruction de quartiers entiers, mais surtout les expropriations massives, allaient lui valoir l'hostilité des Parisiens, et ce pour des générations. Si toute une catégorie de gens en situation précaire se trouva chassée des îlots insalubres du vieux Paris, d'autres couches, bourgeoises et laborieuses, qui vivaient là depuis des générations, furent également concernées. Les boutiques d'artisans, commerçants et petits métiers furent remplacées par des bâtiments publics et des commerces de luxe. Ainsi, des 15 000 habitants que comptait l'île de la Cité en 1858, il n'en restait pas un tiers dix ans plus tard.

Tout cela allait peser lourd dans la balance. D'autant plus lourd que tout le monde n'était pas lésé dans cette affaire et que, la spéculation aidant, on murmurait que les grands travaux de Paris enrichissaient certains, dont les Pereire et comparses, parmi lesquels on nommait le préfet lui-même. Il faut dire qu'il menait grand train, mariant royalement sa fille et donnant prise, par son comportement de parvenu, à toutes sortes d'attaques. On peut imaginer l'effet dévastateur sur ses contemporains lorsqu'il fendait la foule des réceptions officielles en déclarant, sur un ton badin : «Allons, allons, de la place, messieurs, vous savez combien j'aime les larges avenues!»

Ne lui reprochait-on pas d'ailleurs d'abuser des grandes perspectives ? Ou d'imposer aux bâtiments nouveaux une uniformité qui engendrait la monotonie ? «Pour l'abus de la ligne droite, il est certain que Napoléon III n'était pas toujours d'accord avec son préfet, préconisant d'emblée qu'on infléchisse le tracé des avenues. Et il l'a montré en diverses occasions! réplique Nicolas Chaudun. En revanche, revient à Haussmann la définition d'une architecture de série. Tout permis de construire était assorti de préconisations touchant aussi bien aux dimensions qu'aux matériaux et au style des façades.»

Que l'on se place du point de vue des urbanistes ou des nostalgiques du Paris ancien, le bilan est assurément monumental, même s'il est critiquable. A mettre au crédit d'Haussmann, il y a pourtant une autre nouveauté, et non des moindres, liée aux bouleversements que supportèrent pendant un quart de siècle les Parisiens. En passant tous les jours devant les sols éventrés, ils allaient s'accoutumer aux perpétuels chantiers. Trente ans plus tard, Paris se doterait d'un réseau souterrain de transports. Le métro allait bientôt naître, l'un des plus pratiques du monde, et, avec lui, la métropole moderne.

LE FIGARO
LEOPOLD SANCHEZ
27 MARS 2009


IMAGES :
http://www.lefigaro.fr/photos/2009/03/27/01013-20090327DIMWWW00367-paris-avant-et-apres-haussmann.php


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